Cancer du bitume: la «faute inexcusable» d’Eurovia examinée en appel à Lyon
JUSTICE – La cour d’appel de Lyon va se pencher vendredi sur le recours de l’entreprise…
La cour d’appel de Lyon va examiner vendredi le recours de l’entreprise de travaux publics Eurovia qui avait été reconnue coupable en 2010 de «faute inexcusable» par le Tribunal des affaires sociales (Tass) de Bourg-en-Bresse dans la mort il y a trois ans d’un ouvrier du bitume.
En mai 2010, pour la première fois en France, le Tass de Bourg-en-Bresse avait reconnu «la faute inexcusable» de cette filiale du groupe Vinci dans le cas d’un ouvrier de 56 ans décédé d’un cancer de la peau. La sécurité sociale avait qualifié son cancer de maladie professionnelle mais l’avait attribué «à l’exposition aux UV solaires», a précisé mercredi une porte-parole d’Eurovia. Le tribunal «a pu trouver que la conjonction de projections, voire d’inhalations, du bitume avec les UV favorisait soit le risque né des UV, soit le risque né du bitume». Il y a donc une «faute inexcusable de la part d’Eurovia», avaient estimé les magistrats dans leur délibéré.
Un embryon de jurisprudence
L’entreprise de travaux publics avait immédiatement fait appel de la décision, estimant que «ce jugement (allait) à l’encontre des études les plus récentes, qui ont conclu à l’absence de lien entre le bitume et toutes formes de cancer». «Depuis 20 ans, toutes les études internationales convergent» dans ce sens, a réaffirmé à l’AFP la représentante de l’entreprise.
L’affaire avait débuté à la suite du décès, le 3 juillet 2008, de José-Francisco Serrano Andrade, ouvrier spécialisé dans l’épandage du bitume et du macadam sur les routes et autoroutes, atteint d’un cancer qui s’était déclaré sur le visage.
L’audience de vendredi «est importante», selon le défenseur de la famille Andrade, Me Jean-Jacques Rinck: «Avec la décision du Tass de Bourg, nous avons un embryon de jurisprudence. Mais si la cour d’appel de Lyon confirme le jugement, ce sera une bombe atomique, parce que le bitume est épandu sur la planète entière, sauf en Amérique et en Allemagne», ce que conteste Eurovia, d’après qui les USA sont le plus gros consommateur mondial et l’Allemagne le plus important en Europe.
Des indemnisations à la clé
La reconnaissance d’une faute inexcusable permet «l’indemnisation» des ayants droit, mais surtout «on obtiendra justice pour lui (M. Andrade) et ses copains», a ajouté l’avocat. La faute inexcusable sanctionne la responsabilité d’un employeur qui a manqué à une obligation de résultat de sécurité, selon Me Rinck.
Une autre affaire pour faute inexcusable doit être jugée en appel à Aix-en-Provence, concernant la même entreprise, relaxée en première instance. Parallèlement, trois plaintes pour «crime d’empoisonnement» ont été déposées contre Eurovia-Vinci, Jean Lefèbvre (autre filiale de Vinci) et la DDE du Doubs devant les parquets de Bourg-en-Bresse, Orléans et Montbéliard (Doubs) par la famille Andrade et deux autres familles de victimes.
Du poison
«On vend un produit qui est un poison, tout le monde sait que c’est un poison et personne ne fait rien», a estimé Me Rinck. Le bitume, substance composée d’un mélange d’hydrocarbures, provient presque exclusivement de la distillation des pétroles bruts. Plusieurs pays européens reconnaissent le cancer de la peau lié à l’utilisation de bitume comme une maladie professionnelle.
Selon la CGT, 80.000 ouvriers seraient en contact de façon plus ou moins prolongée avec le bitume, alors que les ouvriers du BTP détiennent le record des accidents du travail mortels.