Contre la ligne Lyon-Turin : tract argumentaire du collectif No Tav-Savoie

  • mai 11, 2012
Le collectif No Tav Savoie propose une synthèse des arguments pour s’opposer à la ligne de train à grande vitesse Lyon-Turin, à partir de ce côté des Alpes, alors que continue en Val Susa, côté italien, une opposition radicale à ce projet.

Pensé depuis 1994, un projet de nou­velle liai­son fer­ro­viaire pré­voit de creu­ser le plus long tunnel d’Europe (57 km) pour faire fran­chir les Alpes à 40 mil­lions de tonnes de mar­chan­di­ses par an (?), et pour faire en prin­cipe gagner du temps aux voya­geurs entre Lyon et Turin (ce qui est faux !). Annoncée pour 2023, cette auto­route fer­ro­viaire pha­rao­ni­que coû­tera au moins 24 mil­liards d’euros (7,7 pour la partie fran­çaise + 6,3 en Italie + 10 pour le tunnel inter­na­tio­nal). Elle impli­que, en plus du tunnel inter­na­tio­nal, le creu­se­ment de tun­nels sous les mas­sifs de Belledonne, de Chartreuse et de l’Epine, et la cons­truc­tion de 200 km de voies nou­vel­les en France.

En Italie, le projet appelé TAV (« treno alta velo­cità ») se heurte à une résis­tance déter­mi­née de tous les habi­tant.es du Val di Susa depuis plus de dix ans. Le chan­tier n’a pas réel­le­ment com­mencé sur les ter­rains du site de la Madalena, puisqu’ils appar­tien­nent encore aux oppo­sant.e.s ita­lien.ne.s, les « No Tav ». Juste à côté, les pel­le­teu­ses sont pro­té­gées par un fortin grillagé et des cen­tai­nes de poli­ciers et sol­dats en per­ma­nence, pour un sur­coût d’au moins 50 000 euros par jour. Le mou­ve­ment No Tav dénonce depuis tou­jours cette mili­ta­ri­sa­tion du Val di Susa au ser­vice d’inté­rêts mafieux, pour un projet à la fois coû­teux, inu­tile et néfaste.

En France, cer­tains croient que la liai­son Lyon-Turin résou­dra tous leurs pro­blè­mes : les habi­tants subis­sant le pas­sage des camions pen­sent que le train va rem­pla­cer les poids-lourds, et les che­mi­nots, vic­ti­mes de la pri­va­ti­sa­tion du fret en 2007, espè­rent défen­dre leur métier en sou­te­nant la LGV. On voit aussi des élus de tous bords, reni­flant le pres­tige qu’ils pour­ront reti­rer du « chan­tier du siècle », en faire la pro­mo­tion.

C’est ainsi que le Lyon-Turin, ce gas­pillage monu­men­tal dont les seuls béné­fi­ciai­res réels seront l’indus­trie fer­ro­viaire, le BTP et l’économie pro­duc­ti­viste, est devenu comme par magie à la fois créa­teur d’emplois, de richesse, et de pureté écologique. Et c’est ainsi que depuis dix ans, les chan­tiers pré­pa­ra­toi­res au projet ont pu avan­cer en Maurienne sans ren­contrer d’oppo­si­tion effi­cace.

Pourtant, tous les éléments concrets indi­quent que cette nou­velle liai­son fer­ro­viaire :

- ne rem­pla­cera pas les poids lourds, mais va au mieux les dépla­cer ailleurs.

- est com­plè­te­ment inu­tile étant donné la sous-uti­li­sa­tion des capa­ci­tés de la ligne fer­ro­viaire his­to­ri­que.

- va affai­blir la situa­tion économique des val­lées

- va pro­vo­quer vingt ans de nui­san­ces le long de son tracé : bruit, pous­siè­res, aug­men­ta­tion des ris­ques d’acci­dents et de pol­lu­tion de l’eau.

- va dégra­der dura­ble­ment les ter­ri­toi­res par ses déblais colos­saux, la cap­ta­tion des eaux sou­ter­rai­nes et le béton­nage d’espa­ces natu­rels et agri­co­les.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voici la syn­thèse de tous ces éléments, issus de sour­ces ins­ti­tu­tion­nel­les dis­po­ni­bles sur inter­net, de la presse, et d’enquê­tes de ter­rain :

Un projet totalement inutile

D’après le dépar­te­ment fédé­ral des Transports de la Confédération Suisse (*), le volume total de mar­chan­di­ses tran­si­tant sur route et rail au Fréjus et au Mont-Cenis est en forte régres­sion depuis dix ans (1 541 000 camions et 25,7 mil­lions de tonnes en 2000 – 1 205 000 camions et 17,7 Mt en 2009 ; pour le rail, on est passé de 8,4Mt à 2,4Mt). Non seu­le­ment l’aug­men­ta­tion de trafic qui ser­vait à jus­ti­fier la ren­ta­bi­lité du projet en 2000 s’avère tota­le­ment illu­soire, mais les capa­ci­tés de la ligne fer­ro­viaire his­to­ri­que depuis sa mise au gaba­rit (18 Mt) sont lar­ge­ment suf­fi­san­tes pour absor­ber ce trafic.

Si la part de marché du fret fer­ro­viaire par rap­port à la route est en régres­sion par­tout en Europe, ce n’est pas pour rien :
- Ouverte à la concur­rence depuis 2007 pour le fret et depuis 2010 pour les voya­geurs, la SNCF est en cours de déman­tè­le­ment. La guerre économique a rem­placé le ser­vice public, d’autres entre­pri­ses se par­ta­gent les rails et les parts de marché, avec à la clé : moins d’emplois, de mau­vai­ses condi­tions de tra­vail et de sécu­rité, et un report massif vers le trans­port rou­tier de mar­chan­di­ses, plus concur­ren­tiel.
- Dans son orga­ni­sa­tion actuelle, l’économie ne peut pas se passer du camion, irrem­pla­ça­ble pour effec­tuer du « juste à temps » et « porte-à-porte » avec des sous-trai­tants éloignés. Et ce d’autant plus que se mul­ti­plient les « zones arti­sa­na­les » dans chaque com­mune et les faveurs des élu.e.s au lobby rou­tier.
- Entre la France et l’Italie plus par­ti­cu­liè­re­ment, un audit des Ponts et Chaussées de 2003 (*) affirme qu’il s’agit d’un trafic essen­tiel­le­ment régio­nal. Les mar­chan­di­ses concer­nées sont trans­por­tées sur moins de 1000 km, dis­tance à partir de laquelle le trans­port fer­ro­viaire devient ren­ta­ble.

Dans ce contexte, le Lyon-Turin ne concur­ren­cera pas réel­le­ment le trans­port rou­tier : Mauriennais, mau­rien­nai­ses, vous aurez les camions ET les wagons.

Et quand bien même le Lyon-Turin absor­be­rait une partie des camions pas­sant par Modane, il encou­ra­ge­rait glo­ba­le­ment le tran­sit de mil­lions de tonnes de mar­chan­di­ses à tra­vers les Alpes, donc l’aug­men­ta­tion du trafic et des camions, par­tout ailleurs. Or l’absur­dité de notre économie pro­duc­ti­viste, son gas­pillage énergétique et ses dégâts humains, sont de plus en plus remis en cause : le Lyon-Turin a un siècle de retard.

Des nuisances durables

Le creu­se­ment du tunnel inter­na­tio­nal pro­duira 18 mil­lions de m³ de déblais, dont 10 mil­lions seront sto­ckés côté fran­çais (*), et dont une bonne part contien­dra de l’amiante et de l’ura­nium (pous­siè­res can­cé­ri­gè­nes). Si l’on ajoute les 64 km des tun­nels sous Chartreuse et Belledonne, on obtient au mini­mum 20 mil­lions de m³ sup­plé­men­tai­res. Pendant le chan­tier, c’est donc l’équivalent de 12 pyra­mi­des de Khéops qu’il faudra dépla­cer et sto­cker en Maurienne, Belledonne et dans le Sillon alpin ! Cela repré­sente à peu près 460 camions-benne tous les jours, pen­dant quinze ans. Au fait, le Lyon-Turin n’était-il pas censé dimi­nuer le nombre de camions dans nos val­lées ?

En jan­vier 2006, des conseillers muni­ci­paux de Lanslebourg-Montcenis inter­pel­laient leur maire après un conseil muni­ci­pal où le Lyon-Turin était à l’ordre du jour : « Les repré­sen­tants de LTF confir­ment que de l’amiante et de l’ura­nium sont bien pré­sents dans les mas­sifs. Ils annon­cent que de 4,5 à 6 mil­lions de m³ de maté­riaux (2 à 3 pyra­mi­des de Khéops) seront trans­por­tés par télé­phé­ri­que depuis Venaus sur le site pro­tégé du Mont-Cenis. Ce seront 5000 m³ de mari­na­ges par jour, et ce 300 jours par an pen­dant 4 ans, qui seront déver­sés dans la car­rière du Paradis. ». Ils expri­ment l’inquié­tude des habi­tants de la vallée, de res­pi­rer les pous­siè­res can­cé­ri­gè­nes issues des bennes et de cette immense butte, située sur un site balayé par des vents vio­lents. Ils ajou­tent : « Les popu­la­tions ne se sont-elles pas oppo­sées en 1983 à une demande de recher­che d’ura­nium sur les sites du Mont-Cenis et d’Ambin ? ».(*)

A Villarodin-Bourget, le creu­se­ment de la des­cen­de­rie de reconnais­sance jusqu’en 2007 a déjà confis­qué toutes les sour­ces d’eau pota­ble ali­men­tant le vil­lage, et créé des lézar­des dans les murs des mai­sons. Lorsque va débu­ter le creu­se­ment du tunnel inter­na­tio­nal en 2013, l’Arc sera coincé entre une butte de déblais de 200m x 400m x 30m de hau­teur (mena­çant de glis­ser dans la rivière et de l’obs­truer), une usine de béton (sup­pri­mant l’unique zone humide per­met­tant d’amor­tir les crues avant Modane) et une nou­velle cen­trale électrique. La com­mune refuse ces nui­san­ces futu­res, et a atta­qué en jus­tice la décla­ra­tion d’uti­lité publi­que des tra­vaux.(*)

Le tunnel inter­na­tio­nal agira comme un gigan­tes­que drain dans le massif d’Ambin, qui modi­fiera les écoulements d’eau sou­ter­rains et conduira à l’assè­che­ment de cer­tai­nes sour­ces. Les eaux d’infil­tra­tion recueillies et évacuées aux extré­mi­tés du tunnel seront à la fois chau­des (de 22°C à 30 °C, ce qui va créer un brouillard per­ma­nent si elles sont sto­ckées en bassin) et char­gées de soufre, donc très pol­luan­tes si elles attei­gnent les riviè­res. (*)

Creuser ce tunnel, c’est accep­ter cette pol­lu­tion de nos écosystèmes de mon­ta­gne, pour tou­jours.

 

Des emplois temporaires

Lyon-Turin Ferroviaire (LTF) a annoncé 10 000 emplois sur dix ans pour l’ensem­ble du projet, dont 3500 pour le tunnel inter­na­tio­nal au maxi­mum du chan­tier. Même avec ce chif­fre très opti­miste (les tra­vaux du tunnel suisse du St-Gothard en 2009 n’ont employé que 1000 per­son­nes en pointe, la plu­part venues d’ailleurs), c’est un inves­tis­se­ment de 2,4 mil­lions d’euros par emploi créé ! A titre de com­pa­rai­son, l’inves­tis­se­ment par emploi créé dans une PME est géné­ra­le­ment de l’ordre de quel­ques dizai­nes de mil­liers d’euros.

Il est très pro­ba­ble que les ingé­nieurs et tech­ni­ciens qua­li­fiés vien­dront de loin, le « sale boulot » étant réservé à la main d’œuvre locale. Car il s’agit de creu­ser à tra­vers un massif conte­nant de l’ura­nium et de l’amiante : LTF peut pro­met­tre ce qu’elle veut, croyez-vous que les ouvriers du tunnel n’en inha­le­ront pas une seule fibre ? Ajoutons que seu­le­ment 13O per­son­nes seront employées dura­ble­ment pour le fonc­tion­ne­ment de l’infra­struc­ture, à partir de… 2023.

Lors du chan­tier de l’auto­route de Maurienne, les entre­pri­ses de BTP natio­na­les ont sous-traité à des entre­pri­ses loca­les à des prix déri­soi­res, ce qui a fra­gi­lisé ces der­niè­res et entraîné leur rachat par de plus gros­ses, avec au final des sup­pres­sions d’emplois. De même après les JO d’Albertville, l’effet spé­cu­la­tif sur l’inte­rim et l’immo­bi­lier a créé une crise locale. Ce phé­no­mène est en fait clas­si­que des grands chan­tiers de trans­ports, qui à terme fra­gi­li­sent plus l’économie locale qu’ils ne la dyna­mi­sent.

À qui profite le désastre ?

Alstom, Bombardier, Vinci, Vossloh Cogifer, Egis, Faiveley, Systra et quel­ques autres : tous sont réunis dans la Fédération des Industries Ferroviaires (la « FIF »), qui sert d’ins­tru­ment de pres­sion sur les gou­ver­ne­ments et les col­lec­ti­vi­tés loca­les. Leurs objec­tifs :
- Empêcher que l’on fasse le bilan des trente der­niè­res années de TGV, qui met­trait en évidence le déca­lage entre nos besoins col­lec­tifs réels (un réseau TER effi­cace et bien entre­tenu) et leur recher­che du profit privé. Surtout, éviter que l’on range le TGV dans la série des déli­res méga­los et néfas­tes, juste à côté du Concorde.
- Construire de nou­vel­les lignes en Europe pour s’en servir de vitrine com­mer­ciale, et gagner des mar­chés à l’étranger. Car sans les grands chan­tiers TGV des pays émergents, ces mas­to­don­tes seraient voués à dis­pa­raî­tre.

Le Lyon-Turin fait partie de ces pro­jets « vitri­nes ». Il n’est pas vrai­ment fait pour servir, c’est plutôt une démons­tra­tion de force de l’indus­trie euro­péenne, pour ce qui est de faire rouler l’acier à 300 km/h, et de détruire notre monde.

« La Transalpine », le lobby du Lyon-Turin, ras­sem­ble de nom­breux grou­pes ban­cai­res et indus­triels (Danone, BASF, EDF…), le Medef, le BTP de Savoie … mais aussi le groupe Norbert Dentressangle, l’un des plus gros trans­por­teurs rou­tiers. Parmi les béné­fi­ciai­res directs du projet, citons aussi le groupe Eiffage et le tun­ne­lier Razel.

À plus long-terme, ce projet enté­rine l’indus­tria­li­sa­tion des espa­ces natu­rels, le gas­pillage énergétique et la pré­do­mi­nance des mar­chan­di­ses sur les per­son­nes. Il affirme la mise en concur­rence des peu­ples et renie pour tou­jours la pos­si­bi­lité d’une économie locale et décente.

Le Lyon-Turin n’est qu’une auto­route de plus, même fer­ro­viaire. Une auto­route qui connec­tera Lyon et Turin au Sillon Alpin, accé­lé­rant ainsi la trans­for­ma­tion de nos ter­ri­toi­res en une ville unique de Genève à Valence.

Nous pen­sons qu’on ne réduira pas le nombre de poids lourds en encou­ra­geant le trans­port de mil­lions de tonnes de mar­chan­di­ses à tra­vers les Alpes, mais plutôt en re-loca­li­sant l’économie. De même, on ne créera pas d’emplois dura­bles dans nos val­lées, à coups de grands pro­jets aussi dévas­ta­teurs que tem­po­rai­res.

Pour toutes ces rai­sons, nous vou­lons l’aban­don pur et simple du Lyon-Turin.

Nous vou­lons un report modal effec­tif du camion vers le train, dès main­te­nant et avec les infra­struc­tu­res exis­tan­tes.

Mais sur­tout, nous vou­lons en finir avec les trans­ports inu­ti­les de mar­chan­di­ses sur de lon­gues dis­tan­ces, et avec l’obses­sion de la grande vitesse.

Collectif No Tav-Savoie, décem­bre 2011

(*) Liens vers nos sour­ces argu­men­tai­res, charte du col­lec­tif et actua­lité de la lutte : http://notav-savoie.over-blog.com